Article paru dans la revue culinaire

Article de la Revue Culinaire n° 921, septembre-octobre 2019.


Pour Matthieu Garrel, les trois font la paire d’as de son parcours : Kevin Cape, Jean-Pierre Crouzil et Gérard Besson. Avant qu’il ne s’installe dans ses murs au Bélisaire, renouant avec un style de restauration par trop négligé: la bonne table parisienne élevée au rang d’institutions par ses habitués. Avant que le cercle ne s’élargissent de bouche-à-oreille pour conquérir Paris, faisant de Mathieu Garrel et de son Bélisaire l’une des adresses incontournables de la capitale, gastro à l’âme Bistrotière.

Matthieu Garrel n’a pas jugé bon de changer l’enseigne du Bélisaire, au lendemain de son rachat en 2001. Général romain né en Macédoine ayant donné son nom à un entremets composé de différents légumes ou fruits, c’est de bon augure ! Voulant mettre toutes les chances de son côté, il a même rouvert son restaurant un 14 février, jour de la Saint-Valentin, pour être sure d’être au complet… Au moins un jour !
On l’a compris, le chef aime assaisonner ses propos comme s’est plats d’une ironie bienveillante à l’égard de son métier comme de lui-même. Ne pas se prendre au sérieux, mais faire les choses sérieusement, c’est l’objectif qu’il s’était fixé en reprenant ce bistrot du quinzième où, à la fin du repas, on perpétuait l’esprit chansonnier montmartrois.
En 2003 le Bélisaire est très vite débusquer par le guide Gault-Millau, remarquons sa fameuse ravioles d’huîtres au beurre blanc comme ses chaises de café, ses banquettes en moleskine cloutées et son menu à 18 €. L’année suivante, c’est au guide Michelin de lui accorder un Bib gourmand pour «la solide réputation qu’il se taille dans le quartier de la Convention grâce a la bonne tenue de sa cuisine au goût du jour».
Et voilà le Bélisaire bien parti pour être la réincarnation de ces tables parisiennes de quartier élevées jadis au rang d’institutions par une clientèle d’habitués. La mémoire de l’œil contribue à ce que l’on s’y sentent chez soi : d’entrée, le bar des années 1930 et mobilier ad hoc, serviettes dressées en cornets sur les tables et buffet Henri III faisant office de ménagère côtoient plaques émaillée de pâté Hénaff et siphons d’eau de Seltz vintage, dans la salle à manger flanquée d’un salon privatif.

Saveurs Océanes

Avec les recoins, on arrive à 50 couverts, aussi exigu qu’une Cambuse, la cuisine ne dénote pas avec sa lucarne en permettant à Mathieu de surveiller le déroulement du service.
Entourant le chef, Justin, son bras droit, et Nathan le plongeur. Mais aussi à intervalles réguliers, Vincent Danton qui, fort de son don d’ubiquité, passe avec la même aisance du fourneau à la salle dirigée par Patrice Tellier. Menu carte (ou déjeuner 30 €, 33 € et 50 € le menu surprise en cinq assiettes, 40 € le soir et ardoise comme l’exige le jour). Ticket moyen 55 € pour environ 70 couverts par jour.
Assiette de « cecina ibérique, cornichons français, beurre et guindillas est bistrotière. Mais, le « pavé de barbu rôti, tombé d’épinards, pommes purée et sauce champagne », comme la « ravioles de jeunes poireaux et Omar Breton sauce homard dîne » joue dans la cour des grands. Et leur maîtrise certifie le parcours du chef, proposant une carte faisant la part belle aux saveurs Océane, poisson, coquillages et crustacés venant directement pour la plupart, de Loctudy (Finistère) et de la Trinité-sur-Mer (Morbihan).
Lui aussi est né en Bretagne, le 24 juillet 1971 mais face Nord, à Loudéac, dans les Côtes-d’Armor. Ces rivière étant poissonneuses les truites sautent directement dans la poêle de Guy Samson au restaurant des Genêts d’or à Trévé, Qui s’amuse de voir fureter le petit Mathieu dans les cuisines, sans pour autant vouloir être cuisinier, d’autant que dans la famille Garrel, on compte trois générations de coiffeur, plus proche de la coupe au bol que de la coupe Melba…

Kevin Cape

Ce qu’il aime, c’est plutôt ce qui décoiffe, comme le Char à voile, la plongée sous-marine et le jiu-jitsu. Mais le vent tourne. Ses parents séparés, en échec scolaire, Mathieu est orienté chez les Orphelins apprentis d’Auteuil à Priziac. Il passera trois ans dans ce Collège disciplinaire, période qui restera gravé dans sa mémoire.

« Mon certificat d’étude et mon BEPC enfin obtenu, comme j’avais toujours entendu dire que je n’arriverai jamais à rien, je me suis dit que tant qu’à faire faudrait que j’essaye de faire plaisir aux gens. J’ai bien pensé à la boulangerie, parce que tout le monde aime le pain, mais fallait vraiment se lever trop tôt ! Alors, me souvenant des mines réjouis des clients déjeuner dehors devant leur truite aux amandes, j’ai pensé que cuisinier, ce ne serait peut-être pas si mal ! Je suis donc entré au lycée hôtelier de Saint-Méen-le-grand. Comme j’avais l’âme rebelle, ma chance fut de tomber sur une directrice très dure, certes, mais qui comprenant mes difficultés, m’a fait la grâce de croire en moi ! » Puis, premier stage dans la brigade de Thierry BLANDIN au restaurant le Victorine de Fréhel. Auprès de Thierry, dont le parcours est passé par Jacques le Divellec** et Alain Reix*, il découvre que le bel ouvrage ne s’obtient pas sans une discipline de fer. Il traverse ensuite la Manche pour apprendre l’anglais. Le voici au Bax Castle, pub lambda du Sussex ou il en bave entre sandwich et chicken breast burger. Mais comme disait Nietzsche, « tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Rescapés du fish and chips, il trouve refuge au Bell Inn* à Aston Clinton, premier commis aux poissons dans la brigade de qui veut une cape. Pas n’importe qui… Pour avoir seconder Michel Bourdin qui a régné un quart de siècle sur les cuisines ** du Connaught Hotel** à Londres… « Guerrier qui disait avoir appris exactement la cuisine auprès de Michel Bourdin et qu’il n’avait de cesse de nous transmettre ce bel héritage poli à son propre talent. »

Jean-Pierre Crouzil

Puis, c’est le service militaire embarquons sur le Jacques Cartier dont le port d’attache est Nouméa. Chef de cuisine des officiers, prêt de la quille, stop à Singapour où Kevin cap devenu chef de l’Eastern orient express, le verrait bien dans sa brigade ferroviaire de luxe, à l’image de celle de l’ami Christian Bodiguel, chef de l’Orient-Express. Mais il n’embarquera pas dans ce train de luxe. Grâce a l’intervention de Jacques Guillo*, de l’auberge Grand’maison à Mur de Bretagne, son avenir se fera a Plancouet, chez Jean-Pierre Crouzil**, alors dans le peloton de tête de la cuisine bretonne avec Georges Paineau, Olivier Roellinger et Jacques Thorel :

« Chef de parti à l’avion depuis aux poissons, Monsieur Crouzil, outre le chef doublement étoilé, était doté d’un bon relationnel, proche de sa clientèle. Il savait me remercier, notamment pour l’accompagner régulièrement au marché de dinars, en m’offrant une petite prime « bière », car il avait remarqué qu’avant de rentrer dans ma petite chambre le soir, j’avais pour habitude de m’arrêter boire une bière au café chez mais Mémène, histoire de rompre la solitude. En plus de ce que j’ai appris en cuisine, je pense avoir gardé son esprit canaille et blagueur. »

Gérard Besson

1995, Enfin Paris chez Potel & Chabot au poste montage de poisson et viande et services export pays de l’Est. Belle rencontre avec Marie Sorias et Marc Henri Verger. La parenthèse refermée, il passe quelques mois auprès de Gérard Besson, rue du coq héron. Puis retour sur les flots, mais ceux moins turbulent de la Seine. Gérard Besson lui proposant la responsabilité de la cuisine de la Compagnie des Yachts de Paris, premier bateau gastronomique sur la scène. Mathieu accepte le challenge, l’idée étant de proposer une cuisine haut-de-gamme sous la houlette de Gérard Besson. 1995 à 2000, il est chargé de la création des cartes définis Des différents bateaux ainsi que de la production sur une barge spécialement aménagée à cet effet. Entre-temps, dans les cuisines du coq héron, Besson l’a initié aux secrets de la grande cuisine du gibier qui contribue aussi, en saison, à la notoriété du Bélisaire, avec le lièvre à la Royal devenu un incontournable.